L'Hérétique. C'est ainsi qu'Alain Bombard avait baptisé son radeau de sauvetage, avant de démontrer en 1952 qu'on peut traverser l'Atlantique sur un boudin de même pas cinq mètres, sans eau, ni alimentation solide. Le naufragé volontaire s'est éteint hier à l'hôpital militaire de Toulon. Il était âgé de 80 ans.
Tout jeune médecin, Alain Bombard s'était installé à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais). Jusqu'au jour où on lui amène les cadavres de 21 marins décédés dans le naufrage de leur chalutier. Ce sera un déclic. Bombard va tenter de prouver que l'homme peut survivre en mer dans les pires conditions. En 1952, il devient chercheur à l'Institut océanographique de Monaco et se passionne pour les conditions de survie des naufragés. Et finit par embarquer sur un canot pneumatique qu'il baptise l'Hérétique. «Une manière d'affirmer sa différence alors que tout le monde le prenait pour un fou», explique le navigateur Gérard d'Aboville, qui a traversé l'Atlantique et le Pacifique à la rame, la cambuse garnie.
Alain Bombard embarque un volontaire anglais, Jack Palmer, et tous deux quittent Monaco avec une petite voile, un sextant pour la navigation, un filtre à plancton et du matériel de pêche. Après plusieurs dizaines de jours d'errance, l'Hérétique touche terre à Tanger et ses détracteurs s'en donnent à coeur joie. Palmer jette l'éponge, mais Alain Bombard décide de se lancer à l'assaut de l'Atlantique. Il quitte Las Palmas (Canaries) le 22 octobre 1952, et finit par toucher terre à la Barbade le 22 décembre, après soixante-cinq jours d'enfer.
Etude. Cette aventure, Alain Bombard va la gérer en savant. Il consigne scrupuleusement toutes ses observations, mesure ce qu'il avale, ses sensations, son état général, sa pression artérielle et son rythme cardiaque. Sans oublier les effets secondaires de la consommation d'eau de mer, considérée à l'époque comme le pire des poisons, mais source précieuse de sodium. Bombard filtre le plancton, riche en vitamine C, pour combattre le scorbut. Il s'alimente de sa pêche, récupère l'eau de pluie quand la météo lui est favorable, boit l'eau «douce» obtenue en pressant la chair de ses prises. Et consomme l'eau de mer, par petites quantités.
Médecin mais pas navigateur, Alain Bombard se trompe dans ses calculs. Après cinquante-cinq jours de mer, il croise la route d'un cargo qui l'accueille quelques minutes. Affamé, Bombard accepte une petite collation offerte par ses hôtes. Il écrira plus tard (1) que son corps ne l'a pas acceptée. Le navigateur repart et touche terre à la Barbade dix jours plus tard. Epuisé, amaigri il a perdu 25 kilos mais fier de sa démonstration. «Il a toujours été une référence, confie le navigateur Jean Le Cam. Un homme qui a prouvé qu'on pouvait aller au bout de soi.»